Le 29 mai 2025, Madame Hawa Traoré a été victime d’un acte de violence extrême qui a entraîné son décès. Ce féminicide, tragiquement emblématique, met en lumière l’incapacité persistante des institutions mauritaniennes à garantir la protection effective des droits fondamentaux des femmes, notamment leur droit à la vie, à la sécurité et à la dignité.
À ce jour, et malgré l’indignation collective, le présumé meurtrier court toujours libre, symbolisant l’impunité qui règne face à ces violences faites aux femmes et l’échec des autorités à assurer justice et protection.
Face à cette provocation insupportable, l’exigence de justice pour Hawa Traoré passe nécessairement par l’arrestation immédiate de ce criminel trop téméraire, dont l’évasion prolongée met en cause la crédibilité de l’appareil judiciaire et sécuritaire.
Cette situation a suscité, le 2 juin 2025, une mobilisation d’ampleur nationale, où des organisations féministes, appuyées par des organisations de défense des droits de l’homme telles qu’IRA Mauritanie, l’AFCF, des parlementaires, des personnalités politiques et publiques, ainsi que des milliers de citoyennes et citoyens, ont manifesté à travers le pays.
Ces manifestants ont convergé vers l’esplanade de l’Assemblée nationale, siège du pouvoir législatif, pour exprimer leur exigence collective d’une justice diligente et d’une réforme législative profonde. Les slogans scandés, tels que « Justice pour Hawa » et « Votez la loi KARAMA », traduisent la volonté unanime de voir adoptée une loi robuste protégeant les femmes contre toutes formes de violences.
D’un point de vue statistique, la situation est alarmante. Les données publiées par le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) en 2023 indiquent que près de 68 % des femmes en Mauritanie ont subi une forme quelconque de violence au cours de leur vie. Par ailleurs, l’Association des femmes chefs de famille (AFCF) a documenté en 2024 plus de 80 cas graves de violences basées sur le genre, dont plusieurs se sont soldés par des meurtres. Ces chiffres, s’ils sont préoccupants, sont malheureusement probablement sous-estimés en raison du sous-reportage et des mécanismes insuffisants de collecte de données.
La Mauritanie a pourtant pris des engagements internationaux contraignants. La ratification par notre pays de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) engage l’État à adopter toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination et garantir aux femmes une protection juridique effective. Par ailleurs, le Code pénal mauritanien sanctionne les infractions telles que le viol, et la Stratégie nationale pour l’autonomisation des femmes, en vigueur depuis 2020, vise à promouvoir l’égalité des genres.
Cependant, ces dispositifs demeurent fragmentaires, insuffisamment mis en œuvre et souvent inadaptés aux réalités spécifiques des violences sexistes. Notamment, il n’existe pas encore de loi spécifique qui reconnaisse et criminalise explicitement le féminicide, ni de cadre juridique clair couvrant l’ensemble des violences basées sur le genre, y compris le harcèlement sexuel et les violences domestiques.
Ce vide juridique crée un terrain propice à l’impunité et à la répétition des actes violents. Il compromet gravement le droit des victimes à un recours effectif, en violation de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont la Mauritanie est partie.
Dans ce contexte, le projet de loi dit KARAMA (Dignité) constituerait une avancée juridique majeure. Il propose notamment :
La reconnaissance du féminicide comme infraction pénale autonome, répondant ainsi à la gravité particulière de ce crime ;
Une définition exhaustive des violences fondées sur le genre ;
La mise en place de dispositifs institutionnels spécialisés pour l’accueil, l’accompagnement psychologique, juridique et social des victimes ;
L’obligation de formation des acteurs judiciaires, policiers et médicaux à la prise en charge des violences sexistes ;
L’instauration d’une campagne nationale de sensibilisation pour combattre la stigmatisation et le silence autour de ces violences.
Malgré son importance capitale, cette loi demeure bloquée dans les instances législatives, retardant ainsi la mise en conformité de notre droit interne avec les obligations internationales de l’État. Ce retard législatif représente un manquement grave aux engagements pris et expose la Mauritanie à des critiques justifiées de la part de la communauté internationale.
Il convient de rappeler que, plus d’une semaine après le meurtre, le présumé criminel continue de narguer les forces de l’ordre, de proférer des menaces à l’encontre de la famille endeuillée, tandis que les organisations féministes insistent sur l’urgence d’accéder aux résultats de l’autopsie pour éclaircir les faits. Cela reflète non seulement une défaillance manifeste des mécanismes judiciaires et policiers, mais aussi une grave injustice pour la victime et ses proches. Cette situation est un indicateur accablant de la persistance de l’impunité face aux violences faites aux femmes.
Le nom de Hawa Traoré doit désormais être inscrit au fronton de la mobilisation pour la justice et la dignité des femmes en Mauritanie. Il incarne non seulement la mémoire d’une victime, mais également l’exigence d’un changement structurel et profond.
Il appartient à l’ensemble des institutions républicaines de garantir que les droits des femmes ne restent pas lettre morte, que la loi KARAMA soit adoptée sans délai, que ce criminel soit enfin arrêté et poursuivi conformément à la loi, et que la justice soit rendue avec fermeté et impartialité.
Par Cheikh Sidati Hamadi
Expert senior en droits des CDWD (GFOD), essayiste, chercheur associé en droits humains, spécialiste des discriminations structurelles
Hawa Traoré, victime de féminicide atroce : Exigence de justice et impérieuse nécessité d’adopter la loi KARAMA
