Mauritanie. La citoyenneté prisonnière.. Par Mansour LY

Chaque génération mauritanienne a cru à la réforme qui allait tout changer. Développement. Cohésion. Équité. Une société où la citoyenneté serait la seule boussole. Mais chaque fois, l’élan s’est brisé. Chaque fois, l’espoir s’est heurté aux mêmes murs.
Les lois sur les partis, la binationalité, les langues nationales auraient pu nous rapprocher. Elles n’ont fait que rallumer les blessures. Car le problème n’est pas dans les textes. Il est en nous. Dans nos faiblesses. Dans nos hiérarchies figées. Dans cette peur de l’autre qui étouffe la confiance.

Les cicatrices qui nous retiennent

Nous vivons entourés de marques visibles que chacun prétend ignorer.
Le nom, la tribu, les séquelles de la féodalité chez certaines composantes dictent encore trop souvent le destin d’un homme ou d’une femme. Les Haratines demeurent marginalisés. Les communautés négro-mauritaniennes portent l’oubli de leurs langues et le délaissement de leurs régions. Même les Maures se divisent entre eux, assignant à chacun une place d’où il ne peut sortir.
Ces cicatrices ne sont pas du passé. Elles gouvernent encore notre présent. Elles créent l’immobilisme. Elles nous empêchent d’avancer. Et pourtant, chaque vendredi, les rangs de prière s’alignent. Devant Dieu, nous sommes égaux. Mais à la sortie de la mosquée, les murs se relèvent. Nous savons nous unir dans la foi. Mais nous échouons à marcher ensemble comme citoyens. Voilà notre paradoxe.

Quand la réforme devient fracture

Regardons autour de nous. La réforme sur la binationalité aurait pu reconnecter la diaspora. Elle a été vécue comme une exclusion. La réforme sur les langues aurait pu célébrer la diversité. Elle a été ressentie comme une menace. La loi sur les partis aurait pu clarifier le champ politique. Elle a fragilisé le pluralisme. Chaque réforme finit par nourrir la méfiance. Parce qu’elle est pensée sans dialogue. Sans vérité partagée. Sans volonté de briser la domination d’un groupe sur les autres. Une réforme sans lien social n’est qu’un texte vide.

Les pas que nous devons franchir

Il est temps de rompre avec ce cercle. D’abord, nous devons transformer notre mémoire en bien commun. Non pas seulement la reconnaître mais la transmettre. Tant que notre histoire restera éclatée, chacun portera sa blessure en silence. Ensuite, l’État doit redevenir arbitre. Sa neutralité doit se lire partout. Dans l’armée. Dans la justice. Dans l’école. Dans la diplomatie.
Enfin, l’élite doit assumer sa responsabilité. Non pas hériter et bloquer, mais mériter et transformer. Non pas reproduire le passé, mais ouvrir l’avenir. Ces pas ne sont pas des options. Ils sont les clés de notre libération collective.

La citoyenneté est prisonnière, mais elle n’est pas morte. Nos séquelles ne sont pas une fatalité. Comme d’autres peuples, nous pouvons transformer nos blessures en promesse.
Réformer, ce n’est pas empiler des lois. C’est rassembler. C’est donner à chaque citoyen la dignité qui lui revient. La Mauritanie ne manque pas d’histoires. Elle manque d’un récit. Un récit qui dise que notre diversité est une force et que notre avenir se construit ensemble.

Ce récit, nous seuls pouvons l’écrire. Le choix est là. Et il nous appelle. Maintenant.

Mansour Ly