Réforme des établissements publics et sociétés – bâtir par le droit, défaire par l’habitude

La Mauritanie vient d’adopter la loi n° 2025-002 sur les établissements publics et sociétés (EPS). Elle abroge l’ordonnance de 1990 et dote enfin le pays d’un cadre clair, détaillant création, organisation, fonctionnement, contrôle, contractualisation et gouvernance. Ce socle juridique était attendu depuis longtemps. Mais une charpente solide ne suffit pas si les murs restent minés par les mêmes habitudes. Car si nos EPS croulent sous les dettes et produisent moins qu’elles ne coûtent, c’est d’abord à cause d’une mentalité qui s’est incrustée. Celle de la gabegie, qui fait de l’État une vache laitière. Tant que cette logique domine, aucune réforme ne tiendra.

Une rupture juridique attendue

La nouvelle loi change les règles du jeu. Les EPS ne vivront plus sous perfusion. Elles signeront désormais des contrats de performance, de mission et de programme, avec des objectifs mesurables et vérifiables. Le financement automatique cède la place à un partenariat où chaque MRU devra se justifier. Les organes délibérants sont responsabilisés, l’autonomie financière mieux encadrée et le contrôle confié à une Commission indépendante, appuyée par des audits obligatoires. En théorie, c’est une révolution.

Des chiffres qui parlent

En 2020, la Mauritanie comptait environ 160 entités publiques établissements publics à caractère administratif (EPA), établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), sociétés nationales et sociétés mixtes regroupant 29 000 agents. Leur dette totale atteignait 44,37 milliards MRU, soit 15,7 % du PIB. Sept sociétés seulement concentraient près de 74 % de ce fardeau, parmi elles la SOMELEC, la SNDE ou la SNAAT.

En 2021, 30 entités ont renoué avec les bénéfices mais la SNDE affichait encore un déficit de 0,66 milliard MRU. Les charges de personnel représentaient alors près d’un cinquième des dépenses globales du portefeuille. En clair, une masse salariale trop lourde pour des résultats trop faibles.

Ces chiffres ne sont pas neutres. Ils signifient qu’une famille mauritanienne reste plongée dans l’obscurité quand la SOMELEC programme ses coupures. Ils signifient que des enfants attendent des camions citernes quand la SNDE n’assure pas l’eau potable à Nouakchott. Ils signifient que la mauvaise gouvernance se paie directement en nuits sans lumière et en robinets asséchés.

L’esprit gabégique, véritable verrou

Au-delà des bilans financiers, c’est une culture qui bloque la réforme. Le poste administratif est perçu comme une rente et non comme une responsabilité. Les subventions sont considérées comme des droits acquis plutôt que comme des leviers de performance. Le bien public se confond avec le patrimoine privé. Tant que nous ne passerons pas de la logique de prédation à celle de la construction collective, la loi restera un texte, non un outil de transformation.

Transformer la loi en levier

La réforme de 2025 donne des instruments. Encore faut-il les utiliser avec rigueur. Il faut publier les contrats de performance et les assortir de trois à cinq indicateurs clairs, par exemple la réduction des pertes techniques, la qualité du service rendu ou les délais de paiement aux fournisseurs. Il faut assainir la commande publique en renforçant le contrôle de la CNCMP et en imposant la transparence des marchés. Les finances des EPS doivent être redressées par des moratoires conditionnés à la productivité réelle et non par des renflouements aveugles. Un fonds de redressement dédié, financé sur des critères de résultats, pourrait constituer un garde-fou.

Parallèlement, il faut former les gestionnaires à la performance et à la transparence, en liant leurs primes aux résultats obtenus. Enfin, il faut associer les citoyens en rendant publics les coûts réels et les résultats attendus. Chaque usager doit comprendre ce que coûte son service et ce qu’il rapporte à la collectivité.

Comparaison régionale, des leçons à tirer

Au Sénégal, l’État a maintenu ses entreprises stratégiques SENELEC et SONES mais en imposant des contrats de performance et des audits réguliers, avec une gouvernance plus lisible malgré des défis persistants.

En Côte d’Ivoire, les privatisations massives des années 1990 ont allégé l’État mais déclenché des crises sociales et un retour partiel de la main publique après les conflits.

Au Maroc, l’État a consolidé de grands groupes publics OCP, ONEE, RAM tout en ouvrant certaines activités au privé, combinant rôle d’actionnaire, de stratège et de pilote. La Mauritanie peut tirer profit de ces expériences, éviter la privatisation sauvage mais sortir de l’assistanat permanent et construire un modèle où l’État reste stratège sans être comptable de tous les échecs.

Le pays que nous pouvons bâtir

La Mauritanie ne manque pas de ressources. Elle ne manque pas de lois. Elle manque de discipline collective. Si nous modernisons la commande publique, si nous respectons nos engagements internationaux et surtout si nous assainissons nos mentalités, notre pays peut devenir un Eldorado en Afrique de l’Ouest. Nos mines, nos énergies, nos terres et nos eaux peuvent être transformées en richesses tangibles pour nos citoyens. Mais cela ne sera possible que si nous arrêtons de traire l’État et commençons enfin à le bâtir. La loi de 2025 n’est pas une fin, elle est un début. Elle trace une voie vers des établissements publics et sociétés performants et transparents. Mais elle ne réussira que si nous changeons d’esprit. L’État n’est pas une vache laitière.

L’État est notre maison commune. À nous de choisir si nous voulons la vider, ou la construire.

Mansour LY